Logon


1.Tu dors

Tu entres dans ce lieu, précédé et suivi par d'autres visiteurs. Tu franchis le pas de la porte, le vestibule, et tu sais - alors que tous l'ignorent - être l'auteur de toutes les oeuvres de cette exposition. Ici dans la galerie, tu fais maintenant quelques pas et tu vois pour la première fois les pièces achevées et installées. Tu en es l'unique auteur et le seul à savoir que les noms sur les cartels, sur les listes, les personnes auxquelles peut-être ces noms ont été attribués, ne sont que les détails ultimes de la construction de l'ensemble. Tu as pris soin de choisir, pour l'élaboration de chacune des oeuvres, des options esthétiques et des inspirations suffisamment éloignées les unes des autres; ces différences dessinent les contours d'identités selon toi bien distinctes. Tu le constates, l'efficacité est absolue, pas l'ombre d'un soupçon, l'absence de doute dans l'expression des visiteurs te conforte. Après avoir conçu les pièces, longuement réglé en profondeur et en détail chacune d'elles, transcrit toutes tes décisions sur des croquis précis, tu en a confié l'entière fabrication à des personnes compétentes. Tu entres, tu regardes et tu te demandes s'il est vraiment regrettable que tu n'aies pas supervisé la production jusqu'au bout, ou si ce qui diffère de ton idée initiale enrichit ta proposition. Résultat de l'interprétation des constructeurs, certaines de ces initiatives t'irritent, quelques-unes te plongent dans une rage embarrassante, d'autres surmontent tes réserves, te surprennent ou te ravissent. Dans ces circonstances, tu ne crains pas directement la critique, mais il t'es interdit de partager tes impressions. Tu traverses l'espace de pièce en pièce, ton attitude calée sur celle des visiteurs les plus attentifs; pas nonchalant, regard mobile, stations irrégulières dans des positions variées autour des oeuvres, de temps à autre adossé au mur, la nuque légèrement plus tendue cependant. Il ne te parait pas nécessaire de contrôler tes expressions, la légère crispation ou l'épanouissement de ton visage, provoqués par l'agacement ou la surprise, ne se démarquent en rien des manières des personnes présentes. Tu penses pouvoir être satisfait de l'ensemble, malgré la solitude à laquelle tu es contraint ou peut-être à cause d'elle, tu ressens la puissante exaltation que procure l'expérience, mais elle n'éclipse pas une déception ténue dont la cause te reste inaccessible.




1. You are asleep

You are entering the space, with other visitors ahead and behind. You are crossing the doorway, then the hall, and you know - whilst everyone else is unaware - that you are the sole author of all the work in this exhibition. You are taking a few steps into the gallery, seeing for the first time the pieces completed and installed. You are the unique author and the only one to know that the names on the labels, lists, the artists attributed, are just the final creative touch in this body of work. For each piece, you have carefully selected aesthetic options and inspirations which sufficiently distance one from the other. These differences drawing the contours of identities which to you seem very distinct. You are noting the absolute efficiency, there's no hint of suspicion, no sign of doubt and you are comforted by the attentive expressions of the visitors. After conceiving the pieces, taking careful time to adjust each one in scale and detail, transcribing all your decisions in precise sketches, you entrusted the entire manufacture to skilled people. You are entering, looking around and asking yourself if it's not regrettable that you didn't supervise the production until the end, or if the deviations from your original idea enrich your proposition. You are thinking about the people who built the pieces, some of their initiatives annoy you or plunge you into an embarrassing rage, others surpass your reservations to surprise or delight. In these circumstances, you don't fear criticism, but are forbidden to share your impressions. You are crossing the space from room to room, adopting the attitude of a very attentive visitor. You are walking calmly, glancing around, pausing to study, moving irregularly to various positions around the work, at times leaning on the wall... the back of your neck somewhat tightening gently. It's not necessary to control your facial expressions, the slight tensing or flourishing, provoked by annoyance or surprise, doesn't stand out from the general manner of the people present. You are thinking that you can be satisfied with the work as a whole. You are feeling the ecstatic power the experience brings, despite of, or perhaps in fact of, the solitude it constrains you in. However, this does not mask a slight disappointment, the cause of which remains obscure.



laetitia gendre